Le Barbouilleur égaré
Hoël avait une obsession : peindre la mer, ses remous, sa houle, ses moutons. Le front ridé, le regard tantôt hagard, tantôt acéré, la peau creusée par le soleil, sur son visage se lisait le fourmillement incontrôlable de ses émotions. Les jours d’angoisse, il traçait sur la toile par de violents coups de couteau la turbulence des masses d’eau tourmentées par le vent et les courants. À ses rares moments de quiétude, il créait des ambiances monochromes dont le minimalisme se trouvait parfois discrètement froissé par le scintillement d’une risée vagabonde.
Si ses oeuvres relataient à merveille tous ses écarts d’humeur, ce travail pictural à la bordure de l’abstraction effrayait ses congénères, qui gardaient avec lui une dédaigneuse distance, et le surnommaient le Barbouilleur égaré.
Quand un riche collectionneur lui acheta à prix fort un tableau de grand format, notre peintre put acquérir le canot de ses rêves. Suffisamment joufflue pour pouvoir transporter son équipement d’artiste, gréée d’une petite voile aurique, cette embarcation lui permit tous les jours d’approcher au plus près les vagues qu’il admirait tant.
Une veille d’automne, la nuit tomba sans son retour. Au matin, son bateau apparut à la dérive. À l’intérieur, une toile encore vierge et au dos du châssis ces quelques mots, elle m’appelle chaque jour et ce jourd’hui je plonge. La mer garda son corps comme sa dernière esquisse.
Toutefois, les anciens disent que son âme trouva refuge dans les brise-lames de Saint-Malo.