Depuis son précoce veuvage, Pierrick s’occupait des morts comme personne n’osait le faire. Prévenu après chaque décès par le prêtre, le maire, le médecin, les voisins ou la famille, il prenait en charge le corps du défunt, dans un rituel qu’il s’était façonné au fil des années : d’abord entendre l’écho du ruissellement de cette vie tout juste éteinte ; remonter à sa source ; investir sa mémoire. Ensuite opérer les gestes des soins post-mortem, précis et rigoureux, alliant la nécessaire distance technique à cet intense respect pour ceux qui pleurent le disparu. Enfin restaurer la présentation du voyageur de l’au-delà, pour permettre à ceux qui vivent de vivre encore sans remords.
Insensible à l’abnégation qui l’animait, la plupart de ses congénères le voyait comme l’ombre d’un oiseau de mauvais augure. Ainsi fut-il surnommé le Thanatofacteur.
La faucheuse aurait-elle entendu ces macabres frayeurs ?
Un soir d’été, alors qu’il pêchait à pied dans la baie, la foudre le frappa et son corps resta un long moment inerte dans la vase, avant d’être emporté au large par la marée.
Sans retour ni soin.
Sans regret ni chagrin.
Toutefois, les anciens disent que son âme trouva refuge dans les brise-lames de Saint-Malo.
Extrait de Brise-lâmes, un recueil de photo / haïkus et contes marins
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